Une psychologie à l'américaine

Ça tranche. Mais ça a le droit d’exister.

Cette réflexion prend sa source dans une anecdote. Elle n’est pas fascinante en elle-même – à la rigueur elle peut faire rire -, c’est juste le point de départ d’une pensée sur la façon dont j’ai été formé à la psychologie, et le temps qu’il m’a fallu pour ouvrir mes horizons.

La semaine dernière, j’ai reçu un nouveau patient. Comme à mon habitude, j’ai notamment exploré les antécédents de prise en charge psy, voir ce qui avait déjà été fait, ce qui avait marché ou non… Il m’a alors informé avoir eu ce qu’il considère comme une mauvaise expérience avec une psychologue, et ne pas souhaiter que ça se reproduise. Il m’a expliqué que ce n’était pas dramatique, mais que pour lui ça n’allait pas au niveau relationnel et que ça le mettait mal à l’aise. Il m’a rapporté une anecdote pour illustrer : à son dernier rendez-vous, quand elle lui a demandé comment il allait en début d’entretien, il a répondu qu’il allait bien, et lui a retourné la question (“et vous, ça va ?”). Elle n’a pas répondu. Rien. Silence long, en le regardant. Il a détesté ça. Je me suis marré devant lui en écoutant son anecdote. Ça l’a déridé, il a sourit.

Ce story telling pour dire : j’aimerais parler de psychologie “nord-américaine” et du changement de posture que ça suppose.

J’ai mis du temps à lire Carl Rogers (pourtant tête de file d’un des courants principaux de la psychologie !). Étudiant, il m’avait été présenté ultra rapidement (j’ai vérifié dans mes notes : j’ai deux lignes sur lui dans un cours de DEUG I. Je ne l’ai pas recroisé en cours avant le M1). Si des étudiants en psychologie me lisent, je serais très heureux d’avoir des feedbacks sur comment c’est à présent 🤔

C’est dommage. Sa vision de la conduite d’entretien et de la relation thérapeutique a été un choc pour moi et m’a fait du bien professionnellement (et humainement). Même si ça m’a pris facile 10 ans.

Bien sûr, j’ai eu des soupçons sur les raisons de ce silence : avec le recul, je pense que c’est parce que ça constitue une rupture idéologique (et donc pratique). Un psychologue qui postule qu’on doit être congruent, authentique et chaleureux en entretien, vous ne vous rendez pas compte mais ça détonnait avec l’exigence de froide neutralité, la distance, le silence et la poker face qu’on nous enseignait alors (true story : on m’a appris à être économe dans mes paroles, à garder le silence et hocher la tête un peu de côté en disant “hum”). Et ne parlons même pas de son idée de considérer le patient comme un client, par ici c’est un coup à être brûlé en place publique.

Bref. Je sais bien ce qui se cache méthodologiquement parlant derrière une posture en apparence glaciale. Elle a ses bons côtés, peut être indiquée parfois – je l’utilise aussi. Mais je trouve regrettable – non, c’est même une faute déontologique – de ne pas mieux informer les étudiants de l’existence d’une psychologie outre-Atlantique aux contours très différents, qu’on peut bien sûr critiquer, mais qui est stimulante intellectuellement (et pratiquement). Et qui constitue une alternative légitime et fondée en psychologie.

C’est encore plus dommage qu’aujourd’hui c’est vraiment pas compliqué d’y accéder. Je reçois par exemple la newsletter de l’American Psychological Association (APA) intitulée “Six Things Psychologists are Talking About”. Je vous encourage à jeter un œil (on peut s’inscrire ici).

Une de ses principales qualités est qu’elle propose des informations et travaux de psychologie en lien avec l’actualité, avec à la fois des sujets pour comprendre (des statistiques, études et modèles théoriques) et des sujets pour accompagner et agir (des exemples de pratiques, des tips de spécialistes).

J’ai pris le sommaire de celle d’octobre 2024 pour l’exemple :

  • Un sujet sur l’addicto : la légalisation progressive du cannabis aux Etats-Unis, son usage qui augmente, et les difficultés et risques que ça comporte.

  • Une article rapportant une étude dont les résultats suggèrent un lien causal entre les lois anti-trans et les tentatives de suicide ;

  • Une interview de deux psychologues sur les enjeux et difficultés de la prise en charge de la santé mentale à l’école, et sur les évolutions futures ;

  • Un résumé de trois études peer-reviewed récentes en psychologie ;

  • Un sujet sur les recherches supportant l’efficacité des thérapies digitales, et la façon dont l’Agence Fédérale du département américain de la Santé et des Services sociaux fait évoluer ses codes de remboursement pour intégrer ces pratiques ;

  • Une interview d’un psychologue pour enfant sur les querelles dans la fratrie et les façons d’intervenir sur ces problématiques relationnelles.

Des sujets à destination des psychologues, qui visent toutes les spécialités, en lien avec la vie quotidienne, et qui trouvent leur source dans des travaux scientifiques récents de différents champs de la psychologie. On est bien dans le ligne éditoriale annoncée :

“Psychology is a diverse discipline grounded in science, but with nearly boundless applications in everyday life. Scientific research conducted by psychologists can inform and guide those seeking help with issues that affect their professional lives, family relationships, and emotional wellness.” (https://www.apa.org/topics)

Des statistiques. Du technique / opérationnel. Du contenu en lien avec les problématiques de société actuelles. Des titres simples qui traduisent le contenu de l’article, sans jeux de mots ou paradoxes. Pas de mélange inutile ou de confusion avec d’autres champs disciplinaires.

On aime ou on aime pas. Mais chaque psychologue devrait être libre de se positionner.

Moi je trouve que c’est pas mal cette psychologie.

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